Quelques
témoignages sur le voyage (exode), depuis Bruxelles vers Ostende.
Témoignages
divers.
L'article suivant est paru dans L'Indépendance
belge du 23 septembre 1914, mais l'action est daté du 21 septembre.
Autre
témoignage :
L'article est paru dans L'Indépendance belge du 26
septembre 1914, mais l'action est daté du 23 septembre.
Témoignage
suivant :
Tiré
de « Cinquante mois d'occupation allemande. »
Auteurs
Louis Gille, Alphonse Ooms, Paul Delandshere.
Tome
1, 1914-1915.
Bruxelles,
librairie Albert Dewit 1919.
note :
une étoile * indique la graphie rencontré dans le livre original.
VENDREDI
25 SEPTEMBRE
Un
récit que je viens de lire dans la Flandre libérale donne
une idée précise de ce qu'est, au temps présent, un voyage
Ostende-Bruxelles et retour. Il a fallu à l'auteur du récit, pour
faire le voyage en question, à l'aller dix heures seulement; et il
n'a été fouillé que deux fois. Mais ce fut plus dur pour une dame
qui revenait d'Ostende. En perquisitionnant à Schepdael*, dans le
tram-vicinal, les Allemands trouvèrent sous la banquette un fragment
de journal prohibé. Cette dame et deux autres voyageurs furent
aussitôt arrêtés et jetés à bas du tram. « Je revis la dame,
dit l'auteur du récit, trente-six heures plus tard, chez elle, très
sérieusement malade. Elle avait été forcée d'aller de Schepdael*
à Laeken à pied, sous la pluie, escortée de soldats. Là, on
l'avait obligée à se coucher, ainsi qu'une dizaine d'hommes, sur
une litière de paille. Elle avait été accablée de sollicitations
par un sous-officier et n'avait été épargnée que grâce à un
Espagnol, qui affirma être son mari et se réclama de son consul.
Pendant la nuit, des soldats s'introduisirent dans la salle et se
mirent à tirer des coups de feu. Elle fut relâchée après avoir
été. menacée de mort plusieurs fois. Elle avait, quand je la vis,
un ébranlement nerveux qui inquiétait beaucoup son médecin ».
Le
voyageur poursuit :
Vous
comprenez que cela redoubla mes inquiétudes pour le retour. A
Bruxelles, d'ailleurs, l'atmosphère était changée. On redoutait
quelque chose sans savoir quoi. Des pièces de canon traversaient la
ville. J'ai vu, rue du Luxembourg, de formidables canons que
traînaient de puissantes automobiles semblables aux camions qui
apportent à Bruxelles les papiers de Saventhem*. J'ai vu aussi des
automobiles blindées immenses, contenant des militaires dont je ne
connaissais pas l'uniforme. Un sous-officier allemand m'a dit que
c'étaient des Autrichiens. Les drapeaux avaient disparu. Il y avait
beaucoup moins de monde dans les cafés et c'était mystérieusement
qu'en passant près de vous, l'air indifférent, des camelots vous
offraient des journaux prudemment dissimulés sous les vêtements.
Les
trains qui ne roulait plus depuis le début par la voie du
Luxembourg, circulaient à présent, pleins de soldats. Aux alentours
de Bruxelles, on hâtait les travaux de défense. A Stockel et à
Woluwe, tous les habitants avaient quitté leurs demeures ;
chacun, en un mot, étaient un peu inquiet.
Je
décidai Je partir samedi matin, à la première heure. Je passai
sans encombre à la porte de Ninove, où des factionnaires barraient
la route et j'arrivai à Scheut. Hélas! il n'y avait plus de train
vicinal. Celui-ci ne circulait plus depuis la veille. Il pleuvait et
je n'avais pas envie de rentrer en ville, Je finis par trouver quatre
personnes, deux messieurs et deux dames qui se trouvaient dans mon
cas et nous découvrîmes un vieil attelage. On consentit à
nous conduire à Ninove pour vingt-cinq francs. Je me plaçai à côté
du cocher, protégé de la pluie par un sac que j'avais acheté
cinquante centimes et par un parapluie hors d'usage qu'on m'avait
laissé pour vingt-cinq. Et en route! Mais le cheval était. lourd et
n'avançait qu'au pas. Au bout de deux grosses heures, dans une
auberge où nous étions entrés pour nous sécher un peu - car la
capote de la voiture était percée et l'on était mouillé, au
dedans, autant qu'au dehors on nous apprit qu'il était inutile de
continuer; on ne passait pas. Deux groupes de cinq personnes, qui
avaient tenté l'aventure, avaient été arrêtés et emmenés. Nous
continuâmes néanmoins. Mais plus loin, un paysan nous répéta
l'avertissement, en ajoutant que nous serions dévalisés. Il nous
conseilla de gagner Ninove par Meirbeke*, où, croyait, il n'y avait
pas d'Allemands. A 200 mètres de là, nous trouvions un jeune homme
tout contrit ... les Allemands lui avaient, volé sa fortune : trois
francs cinquante, Nous gagnâmes Meirbeke* et là nous renvoyâmes la
voiture et décidâmes de nous séparer. Je connaissais une personne
de la localité. Elle voulut bien me guider en me déconseillant de
passer à travers champs, car des sentinelles allemandes étaient par
tout. En présence des avertissements répétés, nous avions déchiré
tous les papiers que nous avions sur nous. J'échangeai mou chapeau
contre une casquette et plaçai mon argent dans mes bottines, ne
laissant dans mon portefeuille que quelques billets de cinq francs,
la part éventuelle du feu. Chaque fois qu'on m'arrêta, je donnai
l'adresse de la personne de Meirbeke* qui, après m'avoir indiqué le
chemin était rentrée chez elle, et déclarai que j'allais acheter
des bottines à Sottegem*. La surveillance était très rigoureuse.
On ne laissait passer aucun véhicule, sauf les charrettes
transportant des porcs à Bruxelles. A Ninove, quelle ne fut pas ma
surprise de trouver des fonctionnaires belges à la gare, et
des trains belges! A 200 mètres de là, les Allemands gardaient
tout ! Le temps de me changer et je pris le train. Parti à 6
heures du matin, j'arrivais à Ostende à 10 heures du soir.
SAMEDI 26
SEPTEMBRE
Le
récit d'hier trouve dans celui qui va suivre un complément plein de
pittoresque et de saveur; les paisibles Bruxellois sont encore tout
ahuris de se voir plongés dans des temps si extraordinaires! Donc,
un Bruxellois monte à 8 heures du matin dans le vicinal pour
Enghien. Les vingt voitures sont bondées ; 11 y a plus de mille
voyageurs. Enghien est aussi un de ces terminus héroïques d'où
l'on parvient encore à s'évader vers les régions libres du pays.
Un
peu au delà de la halte de la Roue, entre Anderlecht et
Leeuw-Saint-Pierre, le train stoppe devant un piquet de casques à
pointes. Que se passe-t-il? Je laisse la parole au voyageur qui narre
simplement, presque naïvement, ses impressions :
Un
soldat allemand, arme au pied, prend place dans chaque voiture,
tandis qu'une haie de soldats se range le long du tram, On nous
annonce que quiconque sortira du tram sans autorisation sera
fusillé ! Nous apprenons vaguement qu'un soldat allemand, - que
plusieurs Bruxellois reconnaissent comme un « Allemand de Bruxelles
» attaché autrefois à la Banque Internationale, d'autres disent
aux Brasseries de l’Étoile, d'autres à la Maison Hirsch - que ce
seul soldat procède à l'examen des mille voyageurs. Aussi l'examen
a-t-il duré de 9 heures du matin jusqu'à ... 3 heures de
l'après-midi. Quelques landwehr de bonne volonté passent aux
voyageurs mourant de faim et de soif des navets arrachés dans le
champ voisin.
Vers
3 heures l' examen est terminé. On nous parque en deux lots : les «
purs », c'est-à-dire la plupart des femmes et les hommes hors d'âge
ou d'autres non porteurs de lettres; et les « impurs » ou les «
damnés ». Dans le coin des « damnés » nous étions environ 200.
On coupe, le tram, dont une moitié comprenant les « élus »
dégoûtée du voyage, retourne à Bruxelles. Du clan des « damnés
» on extrait les femmes - toutes avaient des lettres - et on les
autorise à Bruxelles en les engageant à ne plus recommencer. On
retient les autres: exactement 176 prisonniers.
Le
soldat « Hirsch ou Brasseries de l’Étoile » nous fait
ranger par lignes de quatre pour nous compter et nous charger dans
les sept, huit voitures restées depuis le matin. A notre épouvante,
le train prend la direction opposée à Bruxelles. Où allons-nous?
Quel
était notre crime? La plupart d'entre nous, qui se rendaient· à
Gand ou Ostende, s'étaient chargée de lettres de famille pour des
amis, des parents.
Vers
5 heures le train s'arrête à Hal. Nous sommes à nouveau rangés
militairement par quatre et nous partons en cortège, escortés des
soldats. Nous parcourons ainsi par deux fois toute la ville, où la
population ébahie et compatissante nous offre au passage des
tartines, des pommes, de la bière; plusieurs femmes pleurent.
Vers
5 h. 1/2 nous faisons notre entrée au « Gildenhuis » grande salle
de spectacle. On nous oblige à jeter canifs et ciseaux. Les
indigents reçoivent un pain pour trois et de l'eau. Les autres
peuvent commander des vivres à l’extérieur. Des soldats accompagnés
de civils se chargent des achats.
Vers
8 heures, on apporte une cinquantaine de bottes de paille. Au bout de
10 minutes la salle est transformée en dortoir. Cinquante ou
soixante soldats relayés toutes les deux heures, promènent leurs
pas lourds sur le plancher. Qu'allons-nous devenir? Va-t-on nous
expédier en Allemagne?
Quelques-uns
pleurent. Un jeune Bruxellois, relevant d'une double pleurésie
compliquée de pneumonie et cardiaque par dessus le marché, se
trouve mal. On va chercher un médecin qui l'ausculte. Signes
désespérés de celui-ci. On enlève le malade. En réchappera-t-il?
Le bruit court qu'à peine sorti de notre prison, il a cessé de
vivre.
Vers
5 heures, le jour attendu avec anxiété commence à poindre. On ne
nous dit rien. Il parait que les lettres saisies ont été envoyées
à Bruxelles pour examen et qu'on nous y reconduira pour instruire
le cas de chacun.
Vers
midi, le brouhaha est rompu par l'appel de mon nom. Je m'approche et
j'aborde le commissaire de police de Hal, qui, souriant, me déclare
qu'il est envoyé par un de mes amis, lequel veut m'envoyer un
dîner ! Je remercie cordialement et commande au « maître
d'hôtel » improvisé du café et des tartines au jambon. De
midi à l heure je suis appelé six fois; c'était, tour à tour,
divers amis de Hal, qui me témoignaient leur bonne amitié en
m'envoyant à dîner! J'ai pu adoucir quelque peu la misère de
certains compagnons d'infortune, qui se jetaient sur les pommes de
terre et sur les tomates avec une avidité bien justifiée et... avec
leurs doigts privés d'ablution depuis deux jours.
Vers
deux heures et demie grand branle-bas. Un « Oberleutnant »
nous donne l'ordre de nous ranger dans la cour. « On fera
appel de chacun, dit-il. Celui qui ne sort pas immédiatement des
rangs, sera envoyé en Allemagne. »
J'ai
la chance d'être appelé l'un des premiers, Mes explications doivent
avoir été suffisantes, puisqu'on me dit, après m'avoir fait signer
ma déclaration : « Vous êtes libre. »
Je
sors de ma prison, muni de mon petit bagage, et je suis reçu dans,
la rue par la bonne population de Hal, qui attend, anxieuse, ce qu'il
adviendra des malheureux prisonniers belge. J’affrète à
n'importe quel prix un
cabriolet qui vers 5 heures, m'emmène vers Enghien, vers
Grammont, vers la liberté! ...