Tiré de
« Cinquante mois d'occupation allemande. »
Auteurs Louis
Gille, Alphonse Ooms, Paul Delandshere.Tome 1,
1914-1915. Bruxelles,
librairie Albert Dewit 1919.
DIMANCHE 27
SEPTEMBRE
Quelle journée de
fièvre que ce dimanche qui finit! Nous sommes éveillés par le
canon. Dès 5 heures du matin, il retentit comme jamais encore dans
Bruxelles.
Les coups sont très
précipités; on en compte jusqu'à quarante par minute. Dans
certains quartiers, les vitres des fenêtres en frémissent. Une
violente bataille est évidemment engagée pas très loin de
Bruxelles, du côté d' Assche et d'Alost, car c'est de là que vient
le bruit; où perçoit aussi des détonations du côté de Malines.
Nos braves soldats sont encore sortis d'Anvers, ils attaquent
vigoureusement, ils tâchent de faire une trouée vers Bruxelles.
Pourquoi ne réussiraient-ils pas? Devant nos yeux passent des
visions de troupes allemandes refluant dans le désordre de la
défaite jusqu'au' cœur de la capitale, et de troupes belges les
suivant en triomphatrices !...
Aussi tout Bruxelles
est-il sur pied. Beaucoup de gens vont se poster, avec des jumelles,
à des endroits élevés vers l'Ouest pour « voir s'ils ne
verront rien » ; d'autres partent à pied par la chaussée
de Gand, la chaussée de Ninove, allant aux informations. Mais voilà
bien une autre nouvelle, annoncée par une affiche allemande :
AVIS.
Le bourgmestre :
Max ayant fait défaut aux engagements encourus envers le
gouvernement allemand, je me suis vu forcé de le suspendre de ses
fonctions. Monsieur Max se trouve en détention honorable dans une
forteresse.
Bruxelles, 26
septembre 1914.
Le Gouverneur
militaire allemand, von Luettwitz.
Faut-il dire la
stupéfaction du public à cette nouvelle, son chagrin de voir le
populaire bourgmestre soumis à une telle épreuve et surtout sa
colère contre ceux qui la lui infligent,?
* * *
Le Conseil communal
s'est réuni-d'urgence ce matin, à 10 heures. Chacun de ses membres
a été chargé par M. Max, dès le premier jour de l'occupation, de
remplir une mission déterminée. Les uns doivent s'occuper du
ravitaillement de la Ville, les autres surveillent les services
d'assistance et de secours, Il s'agit, maintenant, de ne pas laisser
se détraquer les rouages. Quand M.. Brassinne (à qui M. Max avait
donné pour instructions d'aller quotidiennement aux bureaux du
gouvernement allemand pour les communications intéressant
l'administration communale) arrive à l'Hôtel de Ville, on lui
apprend que le général von Luettwitz vient de téléphoner et lui
demande d'aller le voir immédiatement. M. Brassinne ne répond pas.
Nouveau coup de téléphone du général, qui insiste. M. Brassine
refuse de quitter la séance. Quelques minutes plus tard, le général
somme le conseiller communal de se rendre, d'urgence, rue de la Loi.
M. Lemonnier, qui
occupe le fauteuil du bourgmestre, et à qui cette communication est
faite, la transmet à M. Brassinne, qui demande alors conseil à ses
collègues. Tous estiment qu'il doit se rendre auprès du
gouvernement général afin de savoir quel projet mijote dans la tête
de celui-cl.
Quelques minutes
plus tard, M. Brassinne est introduit chez le maréchal von der Goltz
et le général von Luettwitz. Celui-ci lui demande aussitôt ce que
le Conseil communal de Bruxelles a décidé.
- Je n'en sais
rien, répond M. Brassinne; j'ai dû quitter la séance avant la fin
des délibérations.
-
On doit désigner un bourgmestre, réplique le baron von
Luettwitz : revenez nous voir pour nous mettre au courant.
M. Brassinne consent
à revenir, mais déclare qu'il ne dira rien s'il n'y est autorisé
par ses collègues.
* * *
Dans le public,
chacun se rend compte que l'arrestation de M. Max est la conséquence
du conflit provoqué par l'imposition d'une contribution de guerre.
(1) .
A l'effervescence
causée par la canonnade, s'ajoute maintenant la fièvre provoquée
par cet événement. L'animation dans le centre de la ville est
intense. Les Allemands aussi sont nerveux. De tous côtés, des autos
filent à triple vitesse. Les soldats-policiers sont, plus nombreux
que d'habitude. Tout à coup, vers 11 heures, on, aperçoit, au
boulevard; près de la Bourse, quelques voitures dans lesquelles se
trouvent, accompagnés de soldats allemands baïonnette an canon,
neuf soldats belges et quatre civils prisonniers. La foule accourt,
hors d'elle. On agite chapeaux et mouchoirs, on jette des cris
d'enthousiasme aux prisonniers et des cris hostiles aux Allemands.
Mais des soldats teutons surgissent aussitôt, en quantité, comme
s'ils sortaient de terre. Ils forment instantanément des cordons et,
à coups de crosse, repoussent la foule. Cependant, les prisonniers
descendent de leurs véhicules, devant la Bourse; dare-dare une forte
escouade allemande les conduit à l'Hôtel de Ville. Les
manifestations continuent sur leur passage. Des policiers allemands
commencent à charger ...
Pour finir la
journée, un nouvel avis du gouverneur général:
Il est arrive
récemment, dans les régions qui ne sont pas actuellement occupées
par des troupes allemandes plus ou moins fortes, que des convois de
camions ou des patrouilles ont été attaqués par surprise par les
habitants.
J'appelle
l'attention du public sur le fait qu'un registre des villes et
communes dans les environs desquelles. de pareilles attaques ont eu
lieu, est dressé et qu'elles auront à s'attendre à leur châtiment
dès que les troupes allemandes passeront à leur proximité.
Bruxelles, 25
septembre 1914.
Le Gouverneur
général en Belgique, Baron von der Goltz.
Les Bruxellois vont
se coucher la rage au cœur et l'invective aux lèvres.
(1)
Voir 28 septembre et 28 novembre 1914.
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